Depuis combien de temps réalisez-vous des films ?


J’ai toujours eu l’impression de travailler à la recherche d’une première image possible. Un film pour moi, c’est la proposition d’une nouvelle grammaire révélatrice d’images, grammaire que le spectateur reconstituerait au fur et à mesure du film, puis avec laquelle il pourrait, le temps de son déroulement, écrire sa propre joie. J’essaie à chaque prise de vue, au moment du montage, par la musique notamment, de faire naître cette image et cette possibilité de jouissance partagée.

Quelles sont vos sources d'inspirations, ou vos idoles ?


La musique baroque joue un rôle important dans mon travail. Je la vois à la fois comme un personnage qui entre et qui sort, parfois brutalement, mais aussi comme un soutien rythmique et harmonique fondamental, comme une basse continue.

Qu'est-ce qui vous a inspiré le film "Danube, prélude pour 2 frères et 3 visages" ?


Deux paris :

- filmer un fleuve, le Danube, comme un personnage,

- et faire un portrait de deux frères, un portrait purement cinématographique qui ne soit ni une fiction, ni un documentaire, ni une suite d’images photographiques.

Pouvez-vous nous indiquer certaines de vos techniques d'écriture, et de mise en scène ?


Souvent le scénario déja écrit m'échappe, alors, je suis quelques lignes de force cachées qui avancent comme des chemins imaginaires, des créatures sans queue ni tête, ou plutôt avec juste des queues qui battent un rythme pour progresser. J’aimerais que mes films soient comme des battements de cœur. Une pulsation plus qu’un sens.

Concernant Danube, Prélude pour 3 Visages et 2 Frères, il fallait aussi que le tournage soit compatible avec le voyage en canoë (toujours en mouvement avec très peu de pauses).

Au début, peut-être du fait de cette position et de ces contraintes, il n’y avait rien. Mais à force de regarder et de regarder, une image se levait et je la voyais enfin. Toutes les scories s’en allaient et il y avait une fenêtre. Pour voir à travers celle-ci, je suis tout le temps aux aguets. Pour qu’arrive une image. Une image qui doit dire oui, mais aussi une image souvent décevante au départ. Il faut à la fois une certaine modestie mais aussi de la vanité pour oser accepter son intuition. Ça va tout le temps de l’humilité à la vanité. C’est dans ce balancement que j’écris.

Pendant ce tournage, j’étais également balancé entre des éléments prosaïques (le quotidien du voyage, par exemple, ou la phrase du jour, que je demandais aux deux frères de me dire, et qu’ils devaient trouver eux-mêmes tandis qu’ils piochaient de leurs pagaies dans le Danube) et l’idée poétique et sacrée que le fleuve est une force tragique. Tournant sans savoir quel film j’allais faire, j’étais dans une position difficile, mais je pensais que dans tout chaos il y a la  possibilité d’une harmonie et que ce pari était la matière même du film.

Avez-vous une anecdote à nous raconter concernant ce film ?


J’avais très peur que ce soit un film masculin, un film d’aventure, entre garçons, comme s’il y avait manqué une part de l’humanité. Donc au retour j’ai travaillé à Paris pendant des mois avec l’actrice Virginie Bianchini qui disait à nouveau certaines phrases que les deux frères avaient dites durant le voyage. Elle jouait avec grâce, mais je n’ai jamais réussi à la faire entrer dans le film. Sa présence introduisait du récit. Or je me suis aperçu que c’était paradoxalement le manque apparent de cohérence narrative, et l’effort pour y remédier qui faisaient le film.

J’ai alors accepté qu’il n’y ait que les deux frères, sans pouvoir conserver pleinement l’actrice qui me plaisait tant.

Avez-vous déjà pensé à transformer vos courts métrages en longs métrages ?


Il y a un temps pour chaque film, pour chaque écriture. Transformer ce film en long métrage, ce serait en faire un court métrage, c’est-à-dire quelque chose qui fait tout pour faire oublier qu’il est un court métrage. Ce serait en tout cas détruire sa temporalité propre pour en faire un film qui en serait dénué, un film sans temps. Et puis faire la différence entre court et long métrage, c’est se référer à un temps objectif, mais ce qui m’intéresse surtout c’est le temps subjectif qui traverse le spectateur.

J’essaie aussi de dialoguer avec cette limite dans mes films, la limite au delà de laquelle on n’en peut plus de faire soi-même des rapports entre des images qui ne sont pas tenues par une histoire au sens classique. Je crois qu’il y a un temps physiologique pour le spectateur.

Pouvez-vous nous parler de certains de vos projets ?



Je termine l’invention de l’année 2016, qui est précisément un film sur le thème du temps, en 12 parties — une pour chaque mois de l’année — dans lesquelles différentes temporalités se mélangent : celle des actualités journalistiques, celles des poètes anciens (Charles Péguy, François Villon, Henry Bergson) et celles de personnages comme l’Infante Marie qui a vécu au 16ème siècle, que Velasquez a peinte au 17ème, et que Victor Hugo a refait vivre dans un poème au 19ème.


Bon, mais en fait, j’ai des rythmes intérieurs pour, par exemple, 883 projets. Parce qu’à l’instant, c’est cela qui me traverse, donc c’est mon projet et toute autre projection n’est pour moi qu’écriture sur le sable à la marée montante. La seule chose qui m’importe à présent, c’est l’espoir d’avoir 883 projets, ce qui bien sûr est aussi dérisoire que d’en avoir un seul. Mais peut-être que le destin s’inscrit autant dans le lâcher-prise que dans la planification de l’instant.

Ricard Canals

Nen malalt, 1903

(Octavi, fill de Ricard)

Titi Parant, 2010

Oeuvre bleue

déchiffrage

films

L'invention de l'année
 2014 LInvention_de_lannee_2017.htmlLInvention_de_lannee_2017.htmlLundi.htmlLInvention_de_lannee_2017.htmlshapeimage_1_link_0shapeimage_1_link_1shapeimage_1_link_2

Flagrant délit de

Combien de temps vous a t-il fallu pour écrire, tourner et monter ce film ?


J’ai filmé en Allemagne en 2005, en Autriche en 2006, en Slovaquie et en Hongrie en 2007, puis j’ai fait le montage plus tard, sur toute une année. Mais comment savoir où cela a vraiment commencé et quand cela finit ? On pourrait dire : achever un film, c’est l’achever.


#TOFF (The Online Film Festival), février 2015

Entretien avec Jean Seban à propos du film

Danube, prélude pour 2 frères et 3 visages

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