Comment le film répond-il au style de Flaubert, à la forme courte du conte, à son allure générale, à la vigueur d’une phrase simple vive alerte, lâchée après une scène de chasse et de salut, doublant celle qui est racontée ; un style pour courir après ce double salut : celui d’ une infinie beauté de la création ; celui d’une humanité cherchant sa place dans le spectre large de la bestialité à la sainteté ? De cette chasse, les pages du manuscrit que l’on voit dans le film, donne l’image. La page montre bien Flaubert, tel que le décrit Maupassant : « Son regard (…) courait sur les lignes, fouillant les mots, chavirant les phrases, consultant la physionomie des lettres assemblées, épiant l’effet comme un chasseur à l’affût . »
Le film répond à cela par une structure musicale. Une partition se met en place, entre les plans lancés après la beauté vivante, terrible et ordinaire de la réalité ; la beauté de la nature et de ce qui dénature ; la confusion des époques, le voisinage de la grandeur et de l’insignifiant. Dans cette partition, il y a les correspondances ; entre les images, un rapport qui n’est pas restreint à un enchaînement logique ; il y a les changements de rythmes entre séquences lentes et incursions brèves. Il y a aussi une bande son somptueuse, où le texte de Flaubert, des bruits ordinaires, des pièces de clavecin, des phrases banales « on se prend un petit café », dont quelques-unes atteignent à un statut de proclamation « je suis sa femme », des bribes de conversation, des reprises d’autres films, des extraits de poèmes… tissent une toile riche autant que la forêt s’étendant derrière le château de l’épouse de Julien, forêt, « ayant le dessin d’un éventail ».
L’éventail est dans une liberté parfaitement calibrée où la musique annonce, suit, détourne… accompagne de toutes les manières possibles l’image. Et si celle-ci peut s’arrêter en plein milieu d’une montée d’intensité, ou si le film s’achève sur une image de clavecin, c’est parce qu’ici gouverne cette idée, dont le film est tout entier la mise en œuvre : l’agencement des images est de nature musicale. Les images ont leur rythme, elles suivent des cours d’harmonies… Comme des éléments d’orchestration, plus que les images, compte le rapport qu’elles ont entre elles ; comme entre deux éléments de la bande son, presque un troisième terme, la réalité nouvelle que donne leur rencontre (du passage d’un bruit de tondeuse à gazon à la piece baroque pour clavecin, Le Rappel des Oiseaux de Jean-Philippe Rameau). Le film repose sur ces harmonies qui résultent de ces rapports combinés.
On sait que Flaubert essayait ses textes, en passant toutes les phrases à l’épreuve du "gueuloir", pour vérifier la justesse de la prose : « Les phrases mal écrites ne résistent pas [à l’épreuve de la lecture à voix haute] ; elles oppressent la poitrine, gênent les battements de cœur, et se trouvent ainsi en dehors des conditions de la vie » .
Si dans les films de Jean Seban, la musique baroque occupe une telle place, c’est probablement qu’en elle, ce battement s’entend si clairement. Cette musique joue comme appui, rampe de lancement, métronome, vérification… à la composition musicale du film. Le battement, le voilà sous nos yeux, comme dans la ligne de nage en brasse coulée de l’un des pères, dans une longue scène où sa tête apparaît disparaît. Image emblématique de toute la traversée du film, durée en séquences coulées, épreuve d’un battement, à l’intérieur des conditions de la vie ; telles qu’elles nous portent et nous submergent, dans le film, ici.